Comme mon adresse courriel personnelle est publique, j’y reçois ma part de pourriel. J’ai mis en place certains filtres, alors je ne me plains pas trop.
Cependant, mon adresse courriel académique est beaucoup moins facile à trouver; je ne m’en sers que pour mes cours et mes travaux de recherche.
J’ai donc été très surpris de recevoir, hier, ce courriel :
De : Happy Man [happy@mindlessemail.info] Objet : I am happy!
:-)
Malgré que je soupçonnais que le courriel contienne une image espion (une technique très répandue), un examen du code source du courriel ne montre que les trois caractères «deux points», «trait d’union» et «parenthèse fermée».
Because I publicize my personal email adress, my mailbox is subjected to a lot of spam (I’m fine, thanks).
My academic email adress, however, is less public. I only use it for research and administrative purposes.
Except for this message, which I received yesterday :
From : Happy Man [happy@mindlessemail.info] Object : I am happy!
:-)
Even though I first suspected the presence of a Web bug (a well-known technique), a brief look at the message’s source code revealed only three symbols : colon, dash, closed parenthesis.
50 ans après la première présence des Beatles au Ed Sullivan Show plus tôt cette année, le magazine Billboard a publié un excellent article de Steve Greenberg sur les ahurissantes causes de l’arrivée de la Beatlemania aux États-Unis. Ma coïncidence préférée est que CBS avait préparé un reportage sur le phénomène au Royaume-Uni et en avait présenté un extrait le matin de la journée où il devait être diffusé :
But the full piece didn’t run that evening. Instead, everything came to a standstill with the news that President John F. Kennedy had been assassinated. […]
In the weeks after Kennedy’s death, Cronkite began to feel the weight of the nation’s collective lack of joy, with one heavy item following another on « CBS Evening News. » Finally, he decided it was time to air something fun to break things up, but when surveying the cultural landscape, there was nothing cheery to be found. Then, someone remembered the story that was supposed to air the day of the assassination, the one about kids in England going bonkers over a group of long-haired rock’n’rollers.
Le Cronkite de cette citation, c’est bel et bien Walter Cronkite, le chef d’antenne de CBS qui a marqué la mémoire américaine en annonçant l’assassinat de Kennedy. Dix-sept ans plus tard, voici comment les amateurs de football ont appris une autre triste nouvelle :
La lecture de ces cartes, dont les seules identifications sont «Édité par les Clercs de St-Viateur, 1263, rue Saint-Dominique, Mile End, Qué.» et «Enregistré conformément à l’acte du Parlement du Canada, l’an mil neuf cent sept, par les Clercs de Saint-Viateur, au Ministère de l’Agriculture.», nous plonge dans un récit particulièrement éditorialisé de l’Histoire du Québec de la Nouvelle-France à 1890 :
[Q:] Pourquoi les compagnies, sous le régime français, ont-elles été peu avantageuses pour le Canada? [R:] Parce qu’elles négligeaient les intérêts de la colonie.
[Q:] Les Canadiens étaient-ils justifiables de se révolter en 1837? [R:] Non, ils devaient continuer à se servir des armes constitutionnelles.
[Q:] Quel gouverneur montra beaucoup de faiblesse dans un traité avec les Iroquois? [R:] M. de la Barre.
[Q:] Quels malheurs la Providence a-t-elle épargnés aux Canadiens-Français, en les faisant passer sous la domination anglaise? [R:] Les horreurs de la révolution.
[Q:] Quelle injustice capitale consacrait l’Union des deux Canadas? [R:] L’égalité de la représentation.
On retrouve d’ailleurs, dans la quarantaine d’objets exposés, une quinzaine de cathéchismes et de manuels d’histoire sainte. Le clou de l’exposition appartient du reste à cette catégorie: le bingo catéchistique! Les Clercs ont en effet produit cinq variantes d’un jeu-questionnaire portant sur les sacrements, la messe, la prière, les commandements et les vérités à croire.
Au lieu de donner des chiffres comme au bingo, le meneur de jeu pose des questions relatives à ces thèmes et l’élève qui a la carte avec la bonne réponse place un carton sur la case. Le haut des cartes de jeu porte l’inscription «Instruisons-nous joyeusement».
L’ouvrage Les Catéchismes au Québec, 1702-1963 témoigne de cette propension des communautés religieuses québécoises à utiliser le jeu et le format question-réponse pour propager leur message (dont l’exemple le plus connu est sans doute le Petit Catéchisme).
Hormis l’intérêt évident de la lecture de ces questions, qui brossent un fascinant portrait de l’enseignement de l’Histoire de l’époque, ce jeu m’oblige à modérer ce que je disais plus tôt; sans vouloir recaler l’abbé Étienne Blanchard, il semble que ses jeux de cartes Encyclopédie s’inscrivent dans une tendance bien plus grande.
J’ai découvert les jeux de cartes Encyclopédie en fréquentant la brocante hebdomadaire de mon quartier (une activité qui accompagne fort bien un déjeuner convivial avec des amis curieux mais qui ont bien failli, l’an dernier, me convaincre d’acheter un sitar. Longue histoire.). Pour quelques dollars, j’ai pris possession de cinq petites boîtes de différentes couleurs contenant chacune une cinquantaine de cartes.
La seule indication sur leur origine est celle que l’on trouve sur la boîte et sur le dos des cartes : «Abbé Étienne Blanchard, Église Notre-Dame, Montréal.»
Au recto de chacune des cartes se trouvent cinq questions sur l’Histoire, la littérature, l’économie familiale, l’agriculture, la géographie et des faits divers. Une carte «Manière de jouer» accompagne le jeu et propose un fonctionnement très inspiré des jeux à levées.
Aucune année n’est indiquée, alors la première tentative de datation que mes amis et moi avons faite s’est fondée strictement sur le contenu des questions — et des réponses. Ainsi, une petite recherche sur la population du Canada et du Québec nous permet de déterminer que les données utilisées datent de 1941. À part une référence de Terre-Neuve en tant que colonie britannique (donc avant 1949) et de l’édit suédois interdisant de peler les pommes de terre (de 1942, pour lequel je n’ai pas trouvé de référence), il est difficile de donner une date plus précise à ces jeux.
Le contenu des questions nous donne l’occasion de réfléchir à ce qu’est la culture générale et à la place réservée à celle-ci. On retrouve ainsi des fragments de poésie, des échos de la culture populaire de l’époque et des notions d’économie familiale :
« [Q:]Parlez-nous des vagues de la mer. [R:] L’eau ne marche pas, bien que les vagues semblent courir; leur choc sur les rochers est évalué à 17 tonnes à la verge carrée.»
« [Q:] Le cerveau d’un idiot est-il moins développé que celui d’une personne normale? [R:] Pas nécessairement; il y a des idiots qui ont un cerveau de grosseur normale.»
«[Q:] Pourquoi les histoires de meurtre et de détectives intéressent-elles l’humanité? [R:] Parce que le subconscient est naturellement porté au crime et à la cruauté.»
«[Q:] Les hommes et les femmes voient-ils de la même manière? [R:] Les hommes distinguent mieux les formes, et les femmes, les couleurs.»
«[Q:] De quelle sorte d’huile se sert-on pour huiler les montres? [R:] D’une huile provenant des mâchoires du marsouin. Elle est très rare.»
«[Q:] Comment faire durer un balai? [R:] En le faisant tremper trois heures dans l’eau et en le faisant sécher tête-bêche.»
L’abbé Blanchard ne pouvait quand même pas se passer de prêcher, littéralement, pour sa paroisse (comme sur la carte de gauche ci-dessous, consacrée à l’Église Notre-Dame) :
* * *
Les temps ont beaucoup changé : on ne peut plus écrire à l’Église Notre-Dame de Montréal afin de s’adresser à l’abbé Blanchard. Je n’ai pu retracer ses archives personnelles (si elles ont été conservées), alors ses publications doivent nous servir de base.
«Esprit cultivé, Blanchard était reconnu pour sa participation active à la vie sociale et intellectuelle de son temps. Parmi toutes les causes pour lesquelles il s’est dévoué, la sauvegarde et l’amélioration de la langue française au Canada lui tenaient particulièrement à coeur. « En ce domaine, il a été d’une fécondité extraordinaire « , peut-on lire dans l’hommage que lui rend un de ses confrères en 1952, ce dont témoigne le nombre des publications qu’il y a consacrées.»
L’intérêt de l’abbé Blanchard pour les jeux de questions découle de la même préoccupation pour la survie de la culture française. Le mélange de culture populaire, d’économie familiale, d’histoire, de linguistique (un des jeux est consacré en entier au vocabulaire) et de religion présent dans les jeux de cartes Encyclopédie nous en apprend beaucoup sur son ambition : rendre facile et agréable l’acquisition d’une base culturelle en dehors de l’école.
«Son jeu de cartes pose un peu les racines de notre culture du jeu moderne au Québec : les quiz. Notre production ludique est reconnue surtout pour ses jeux questionnaires, la raison s’expliquant probablement par notre fort besoin de faire survivre notre culture dans un continent où plus de 90% de la population parle l’anglais. Le Docte Rat est un exemple connu de notre notoriété pour les quiz, mais aussi et surtout Quelques Arpents de Pièges (car oui, le plus connu des quiz de plateau fut conçu par un Montréalais entre autres). Rien d’étonnant donc que la première version de Cranium traduite de l’anglais fut la version québécoise.»
Qu’ils aient changé ou non le cours de notre histoire culturelle, les jeux de cartes Encyclopédie sont des artefacts fascinants qui témoignent admirablement de la volonté d’encourager la culture et la langue française au Québec.
Bien évidemment, je ne peux m’empêcher de partager ces jeux de cartes. D’après ma compréhension de l’article 6 de la Loi canadienne sur le droit d’auteur, l’oeuvre de l’abbé Blanchard devrait se retrouver dans le domaine public. Je vous invite donc à télécharger au format PDF et à lire (ou mieux, à y jouer!) les Jeux de Cartes Encyclopédie trois, quatre, cinq, six, «Quatrième série» (incomplet) et «Cinquième série» (incomplet).
Je vous invite aussi, si l’auteur de ces jeux de cartes vous intéresse et que vous croyez, comme moi, que son histoire devrait être partagée, à m’aider à bonifier la page qui lui est consacrée sur Wikipédia.