↬ Prédictions citoyennes
2016-11-25Je publie aujourd’hui une adaptation de l’essai que j’ai présenté à l’Université Laval dans le cadre de ma maîtrise en science politique en 2016. Dans le cadre de ce programme, l’essai vise à démontrer la capacité de l’étudiant à réfléchir de façon scientifique sur une question donnée. Je suis lucide sur ce point : il ne s’agit pas d’un travail de recherche à la fine pointe de la recherche scientifique. Cependant, maintenant qu’il est complété, je crois que cet essai contribue, bien modestement, à la connaissance que nous avons du comportement électoral. Je souhaite donc le partager pour vulgariser une partie de la recherche passée, appuyer des recherches existantes et inspirer des recherches futures.
Publier ce livre sous forme de pages Web me permet, contrairement au papier ou à d’autres formats numériques, de rendre l’information qu’il contient accessible de façon actualisable, partageable et pérenne. Ainsi, après l’essai à proprement parler, des chapitres supplémentaires s’ajouteront (je reprends la formule de Practical Typography de Matthew Butterick, qui me semble un chef d’œuvre du genre. ). De plus, ce livre est une collection de fichiers HTML statiques auxquels il est facile de faire référence. Finalement, j’ai l’intention de le maintenir à l’adresse http://predictionscitoyennes.fmgagnon.com
aussi longtemps que possible.
Mes conclusions, en quelques mots
Des facteurs cognitifs (internes et externes) et des facteurs affectifs influencent la prédiction d’un citoyen sur l’issue d’une campagne électorale. Respectivement, les analyses graphiques et statistiques ci-haut suggèrent que la sophistication politique, l’information accessible, l’identification partisane et l’intérêt pour la politique ont un effet sur la formulation de ces prédictions.
Plus précisément, l’identification partisane semble isolément avoir un effet : l’identification d’un répondant à un parti le pousse à formuler une prédiction plus optimiste qui se manifeste de deux façons, soit par une surestimation des chances de victoire de son parti préféré ou par une sous-estimation des chances de ses adversaires. Cette différence entre la prédiction des partisans et des autres répondants s’amenuise toutefois avec une plus forte sophistication politique.
D’un point de vue « externe », l’effet des sondages semble être de favoriser le parti qui mène dans le sondage le plus récent, ce qui est accentué par un plus grand intérêt du répondant pour la politique. L’interaction la plus notable est celle entre le vainqueur local de la dernière élection et l’intérêt d’un répondant pour la politique. En effet, l’intérêt d’un répondant n’influence la prédiction à la hausse que si le parti en question a remporté la dernière élection locale. Même s’il s’agit d’une information extrêmement rudimentaire, elle permet de supporter un lien entre un certain intérêt (si minime soit-il) et l’assimilation de l’information disponible au sujet du paysage électoral.
La principale conclusion à tirer des constats exposés plus haut est que les prédictions des électeurs sont soumises à de réels biais : même si les concepts de vote tactique et d’examen stratégique laissent entendre un calcul rationnel et froid, ce calcul n’est rationnel que dans la mesure où l’évaluation des forces en présence peut l’être. Alors que certains de ces biais ne peuvent être contournés, comme la sophistication ou l’identification partisane, l’influence des sondages soulève une question éthique dans le domaine des médias.
De plus, l’effet de ces biais laisse entrevoir une interaction supplémentaire entre les facteurs d’influence. Par exemple, peut-on parfaitement évaluer l’effet de l’identification partisane ? Si celle-ci a un effet sur l’intention de vote des électeurs, qui a elle-même un effet sur leur prédiction, le biais en vient à agir à deux niveaux. Il en est de même pour l’intérêt envers la politique, qui peut agir sur la propension à s’identifier à un parti politique et sur l’éducation politique d’un électeur.
Finalement, le cadre théorique du vote tactique implique que les prédictions sont conjuguées aux préférences des électeurs. Il faut donc garder en tête que les constats présentés ci-haut ne représentent qu’une légère part du mécanisme qui guide un électeur dans la formulation d’une prédiction électorale, et à plus forte raison son choix dans l’isoloir.