De la compétence des électeurs →

En plus d’être derrière l’Étude sur les perceptions à l’égard des journalistes et chroniqueurs politiques québécois, le politologue montréalais Alexandre Blanchet tient un carnet fort intéressant. Ce qu’il écrit sur la compétence des électeurs est une lecture intéressante pour tous :

Cet état de fait un peu déprimant nous porte évidemment à nous demander ce que nous devrions faire au juste et malheureusement, il n’existe pas de solutions simples. La plupart songeront à l’éducation, ce qu’évoque d’ailleurs Normand Baillargeon. Or la science politique (et ma thèse notamment) commence à démontrer que l’éducation en elle-même n’augmente pas la compétence civique des citoyens. Lorsque nous prenons en compte ce que nous appelons les «habiletés cognitives» (le mot scientifique pour ce que nous appelons l’intelligence) qui sont développées bien avant qu’un individu entre au Cégep ou à l’université (et qui expliquent largement qu’il s’y rende), l’éducation n’a pratiquement aucun impact sur la compétence politique des citoyens. Autrement dit, les personnes plus intelligentes ont plus de probabilités d’avoir un niveau d’éducation élevé et elles ont également beaucoup plus tendance à être compétente, mais c’est leur intelligence qui explique à la fois le niveau d’éducation qu’elles atteignent et leur niveau de compétence politique.

↬ «Matricé» s'écrit sans cédille

Laissez-moi vous raconter une petite histoire, en tant que concepteur de la pochette de l’album Kosmonavt, d’Echoes from Jupiter. Six phrases suffisent :

  1. Dans la première version du texte, j’avais écrit «Mixage : Steve Trudel» et «Matriçage : Harris Newman».
  2. Je me suis rendu compte que la formulation «Mixé par» et «Matricé par» était plus jolie.
  3. J’ai remplacé «age :» par «é par» dans les deux cas.
  4. Plusieurs révisions et plusieurs relectures suivirent.
  5. Les copies imprimées de Kosmonavt sont arrivées.
  6. Je me suis rendu compte que la cédille dans le mot «matriçé» n’est pas nécessaire.

Voilà. C’est dit. Vous aurez compris que j’aurais préféré que la phrase (6) se trouve un peu avant la phrase (5).

Il ne reste plus qu’à attendre que Kosmonavt devienne triple platine et que les copies du premier tirage prennent ainsi de la valeur.

«Matriçé» sur la pochette de Kosmonavt

(Soupir.)

↬ «Dans un grand cimetière...»

Afin de sauver ma fille Béatrice d’un différend opposant sa mère et sa grand-mère paternelle (coucou maman!), j’ai choisi une arme aussi redoutable que difficile à contrôler : Google. L’objet du conflit : une comptine d’Halloween au sujet d’une sorcière dans un grand cimetière.

(Le Carnet de François M. Gagnon, votre source de référence au sujet de comptines pour enfants. Et c’est gratuit!)

Cette recherche m’a permis de découvrir (a) une panoplie de sites Web de comptines, (b) une variété impressionnante de versions de cette comptine en particulier et (c) un vaste débat folklorique sur les caractéristiques, interrogations et aspirations de la protagoniste de ladite comptine.

Selon Anne, la version que le site Info-garderie a relayée en 2009 est la plus fidèle à son souvenir :

«Dans un grand cimetière, hi hi hi, ha ha ha
Il y avait une sorcière, hi hi hi, ha ha ha
Très très grande et très très belle, hi hi hi. ha ha ha
Elle rencontre trois squelettes, hi hi hi, ha ha ha
Le premier lui dit t’es laide, hi hi hi, ha ha ha
Le deuxième lui dit t’es belle, hi hi hi, ha ha ha
Le troisième lui dit je t’aime, hi hi hi, ha ha ha
BOU!!»

Déjà, contrairement à ce que pourraient nous faire croire les deux premiers vers, le motif des rimes ne se poursuit pas très longtemps (à moins de prononcer «laide» à la québécoise, [lɛt]). Il y a donc anguille sous roche : des rimes bancales cachent souvent une transmission imparfaite d’une chanson.

Un autre site de garderie propose une version similaire :

«Très très grande et très très mince hi, hi, hi, ha, ha, ha
Elle demande a ces squelettes hi, hi, hi, ha, ha, ha
Est-ce que je suis la plus belle hi, hi, hi, ha, ha, ha
Ces squelettes lui répondent hi, hi, hi, ha, ha, ha
OUI !!»

On peut remarquer un changement important au caractère de la sorcière : plutôt que d’attendre un compliment (et ainsi, se rendre vulnérable à une insulte), elle leur demande carrément un jugement superlatif sur son apparence physique. Les squelettes acquiescent, ce qui marque une fin assez abrupte. Ces squelettes ne sont pas aussi coopératifs dans une version trouvée quelque part sur un serveur de la CSDN :

«Très très grande et très très mince
La sorcière leur demande
Est-ce que je suis la plus belle?
Les squelettes lui répondent :
Non.»

C’est particulièrement brutal : l’horreur de n’être pas la plus belle n’est-elle pas décuplée par le caractère laconique de la réponse des squelettes?

À l’opposé, la version propagée par l’École du Papillon-Bleu nous présente une sorcière qui demande plutôt confirmation de sa laideur :

«Elle demande à ces squelettes
Suis-je très grande et très très laide
Les squelettes lui répondent
OUI OUI
La sorcière en colère
Du balai bat la poussière»

Attention : derrière cette version se cache en fait une fable sur l’aliénation. Il est difficile, tout d’abord, de comprendre pourquoi la sorcière pose la question, elle qui semble irritée de recevoir une confirmation de sa grandeur (relativement objective) et de sa laideur (relativement subjective). Cependant, tout s’éclaire lorsqu’on voit sa réaction : en utilisant son balai dans son utilité commune (pour battre la poussière), elle semble vouloir le «désenscorceler», comme pour se sortir elle-même du rôle de sorcière dans lequel sa laideur la cantonne. La question du départ n’est plus anodine mais prend son sens existentiel avec cette réaction désespérée. Voilà qui fait peur, ce qui est très à propos pour la fête d’Halloween.

Ni sur la rive Nord, ni sur la rive Sud, l’Île d’Orléans est un monde à part. La version de la comptine qui y circule, citée par Autour de l’île, en fait foi. Après avoir posé le lieu, la comptine parle d’une sorcière :

«Qui mangeait des squelettes
À la sauce vinaigrette
Avec son chat noir
À tous les soirs.»

Ma première préoccupation, à la lecture de cette version, est la mélodie sur laquelle on doit chanter les derniers vers : ne faut-il pas étirer plusieurs pieds pour en faire quelque chose de minimalement chantable? C’est louche.

Cependant, lorsqu’on s’y arrête, impossible de ne pas y lire une touchante vignette sur la pauvreté et l’isolement. Une sorcière, emprisonnée par la routine, abandonnée par tous sauf par son chat, qui se nourrit à chaque soir d’un même repas répétitif et pauvre en viande.

Mais trêve de squelettes : ma mère affirme que la sorcière rencontre plutôt des cadavres. Sa version ressemble donc plus à celle publiée par un site compilant des activités de francisation :

«Très très grande et très très mince
Hi hi hi Ha ha ha
Elle rencontre trois cadavres
Hi hi hi Ha ha ha
Elle demande aux cadavres
Hi hi hi Ha ha ha
Serais-je ici quand je serai morte?
Hi hi hi Ha ha ha
Les cadavres lui répondent
Hi hi hi Ha ha ha
OUIIIIIIII!!!!!»

(La version proposée par Jolie Tendresse nous offre d’ailleurs un peu plus de détails sur les cadavres :

«Très très grande et très très laide
hi hi hi ha ha ha
Elle rencontre trois cadavres
hi hi hi ha ha ha
Très très grands et très très maigres
hi hi hi ha ha ha»)

À noter que la sorcière redevient laide, dans cette version. Cela contraste avec la version la plus troublante, selon moi, celle de Momes.net :

«Très très grande et très très maigre, hi…
Elle rencontre trois cadavres, hi…
Elle demande aux cadavres, hi…
S’rai-je ainsi quand je serai morte, hi…
Les cadavres lui répondent: oui iiii»

Son interrogation nous fournit peut-être une explication finale : à l’article de la mort, diminuée par la maladie et rendue maigre, la sorcière erre dans un cimetière. Contrairement à sa frivole alter ego des premières versions, elle ne s’intéresse plus à son apparence physique actuelle mais considère déjà la putréfaction de l’après-vie. En démystifiant cette putréfaction, elle fait preuve d’une certaine sérénité qui tranche avec la peur dont l’Halloween est la fête. Peut-être avons-nous tous à apprendre de cette sorcière.


Quelques commentaires d’Anne pendant que j’écrivais ce billet

  • «On n’a tellement pas les mêmes loisirs.»
  • «Cette chanson-là, c’est comme une recette de sauce à spag’ : personne n’a la même!.»
  • «Je ne sais pas quel prix tu pourrais gagner avec ça, me semble que l’Athanase-David ne récompense pas les billets de blogue.»

Mise à jour (février 2016)

Une amie m’a partagé une version qui date de notre primaire :

Dans un grand cimetière
Hi hi hi, Ha ha ha
Il y avait une sorcière
Hi hi hi, Ha ha ha
Très très grande et très très mince
Hi hi hi, Ha ha ha
Elle rencontre trois squelettes
Hi hi hi, Ha ha ha
Le premier porte une casquette
Hi hi hi, Ha ha ha
Le second mange une galette
Hi hi hi, Ha ha ha
Le troisième danse la claquette
Hi hi hi, Ha ha ha
Ils demandent à la sorcière
Hi hi hi, Ha ha ha
Que ferez-vous quand vous serez grande [?]
Hi hi hi, Ha ha ha
Je serai une sorcière
Hi hi hi, Ha ha ha
Dans un grand cimetière
Hi hi hi, Ha ha ha

S’agit-il d’une audacieuse construction postmoderne où la fin de la chanson devient le début de la chanson et où la protagoniste est à la fois jeune et vieille, permettant de mettre au jour une conception linéaire du temps et de la vie humaine?

↬ Kosmonavt

Cela fait un an qu’il est composé, six mois qu’il est enregistré et une semaine qu’il est matricé. Il me fait plaisir, au nom d’Echoes from Jupiter de présenter Kosmonavt.

Depuis que nous avons fait appel au public, en février, nous avons dû ajuster notre planification en fonction du pain que nous avions sur la planche.

Tout d’abord, même si nous avions presque tout enregistré, il restait beaucoup de travail pour s’assurer que les transitions que nous voulions entendre soient parfaitement reproduites. De plus, Mathieu (R.) a reçu une offre que nous ne pouvions refuser : un trompettiste et un tromboniste nous ont offert d’enregistrer un bref passage qui, jusque là, aurait été joué par des instruments de synthèse. Merci messieurs!

Par la suite, dans l’esprit d’auto-production du projet, je me suis mis en tête de trouver moi-même une photo pour illustrer la pochette de notre nouvel album. Je suis parti au centre-ville, appareil photo en main, à la recherche de structures de métal rouillées. La récolte a été bonne :

Diverses photos de rouille

La photo qui a été choisie a rapidement fait l’unanimité, probablement parce qu’elle évoque la «boîte de conserve» d’un cosmonaute. Sans être un opéra rock de l’espace, notre album est en quelque sorte un album-concept, avouons-le…

Pendant ce temps, Steve a poli les enregistrements avec un soin incroyable : je doute fort qu’il ait écouté quoi que ce soit d’autre au cours des derniers mois. C’est lui qui est allé à Montréal s’enfermer quelques heures dans un studio avec Harris Newman afin de matricer l’album pendant que nous magasinions l’impression et la duplication de nos exemplaires en CD.

Toujours est-il qu’avec tout ce travail d’édition et de préparation, nous avons finalement donné le OK final à l’album la semaine dernière. Il a aussitôt été envoyé à l’impression et à notre courtier de distribution numérique afin qu’il soit disponible dans une flopée de boutiques. Aujourd’hui, c’est le moment de vous le faire entendre.

Alors, sans plus tarder, pour vos oreilles et celles de vos amis, Kosmonavt :

Pochette de Kosmonavt

Le difficile saut vers l'«Open Access» →

Dans ses très intéressants Carnets de doctorat, Emilie jette un pavé dans la mare au sujet de la décision de l’Université Laval de réduire le nombre d’abonnements à des publications scientifiques :

«Si les chercheurs à Laval rencontrent des problèmes à accéder aux publications, tant mieux! Ça aidera probablement à changer leurs mentalités. À ça, vous pouvez me répondre que le mieux serait des changements institutionnels qui favoriseraient l’Open Access. Les changements récents au CRSNG sont un début, mais restent mièvres. La volonté n’est pas là. Je crois fermement que le changement doit venir du haut et du bas, des organismes de financement ET des chercheurs. Le chercheur étant un humain, le placer dans une situation inconfortable reste une bonne façon de le faire évoluer.»

Son interprétation est audacieuse. Je ne suis pas certain que le saut qu’elle décrit (du fonctionnement traditionnel à l’accès libre) pourra se faire comme elle l’envisage, mais cela pourrait en effet contribuer à l’attrait des publications «ouvertes» (Autre lecture recommandée : sa présentation de l’accès libre). Je ne connais pas bien les enjeux d’une telle mesure dans les différents domaines académiques, mais en lisant son billet, j’ai pensé à l’exemple de l’immersion linguistique, où faire le saut oblige à s’adapter rapidement. Bref, il est important pour les chercheurs et les étudiants de s’intéresser et de lire sur cette question.